J73 – Le routeur, une aide à la navigation ou un simple confident ?

Analyse de Mathieu Morverand, routeur de Rémy et d’Olivier Montiel.

En Guyane, la chaleur et l’hygrométrie de l’air peuvent rendre le sommeil léger, surtout lorsque le cerveau bouillonne de réflexions et d’interrogations à postériori. Aurions-nous en effet pu éviter à nos rameurs de renoncer ainsi à leurs rêves en leur prodiguant de meilleurs conseils ? Aurions-nous pu les placer à coup sûr dans les veines de courants et de vents les plus favorables. Cette question nous a tiraillé toute la nuit dernière jusqu’à ce que le vent des Alizés, plus frais et plus sec que celui de la ZIC, se fasse entendre dans la végétation toute proche. Cette descente de l’anticyclone, à laquelle plus personne ne croyait, sauf les fragiles prévisions météorologiques, a fini par arriver sur la zone de nos marins, quelques heures seulement après qu’ils décident, à bout de force et d’espoir, d’abandonner et d’accepter la remorque du voilier d’assistance. Cette édition 2014 est réellement cruelle pour ces marins qui avaient repoussé très loin leur limites en puisant avec courage et abnégation au plus profond de leurs ressources physiques et morales. Ces péripéties qui ne seront bientôt plus qu’un bref intermède dans le cours du temps et des souvenirs nous amènent néanmoins à nous interroger sur le rôle du routeur. Celui-ci est-il vraiment indispensable ? En l’espèce, ce 22 décembre dernier, Rémy Landier, Patrice Charlet (alias Mac Coy) et Olivier Montiel n’étaient distants les uns des autres que d’une trentaine de milles à peine et quasiment sur la même longitude. Pourtant, seul Rémy a réussi à trouver la voie vers l’Ouest, Patrice et Olivier étant eux irrémédiablement emportés vers l’Est par un flux très puissant et pourtant invisible sur les cartes. Leurs routeurs respectifs auraient-ils pu empêcher cette bifurcation diamétralement opposée et les conséquences qui en ont suivi ? Les cartes quotidiennes des courants sur zone ne laissaient pas présager un tel scénario et les rameurs se trouvaient alors plus à l’ouest que les positions de ceux qui les avaient précédé quelques jours plus tôt et qui avaient finalement réussi à s’évader par l’Ouest. Avec l’émergence des nouvelles technologies et la capacité des skippers à recevoir à bord toutes les informations nécessaires, cette expérience pose clairement la question de l’intérêt de recourir aux services d’un routeur, est-il vraiment une aide à la navigation ou simplement un confident ?. Les marins des célèbres courses au large sont-ils tous épaulés par un routeur ? Ceux de Rames Guyane ont-ils tous recouru aux services d’un routeur ? En d’autres termes, la réussite d’une telle traversée océanique n’est-elle pas exclusive du marin qui s’y engage corps et âme ? L’avenir de ce type d’épreuves sera certainement bien différent de tout ce que nous avons connu jusqu’alors. A méditer.   Continuer la lecture

J72 – Une sage décision

Analyse de Mathieu Morverand, routeur de Rémy et d’Olivier Montiel.

Toute la nuit dernière, malgré la fatigue et les paupières lourdes, les yeux sont restés rivés sur les écrans pour guetter la descente de l’anticyclone sur la zone de nos marins. A l’aurore, on notait bien un léger changement mais loin de s’accorder avec les prévisions météorologiques. Ce phénomène de décalage entre les modèles proposés et la réalité en mer semble être une coutume de cette zone de convergence intertropicale particulièrement tourmentée quelques soient les couches barométriques. En de telles circonstances, l’optimisme des conseils à terre n’est plus d’aucun secours pour les rameurs. Ils n’y croient plus et ont sans doute raison. Le calvaire qu’ils endurent depuis si longtemps valide toutes leurs convictions, même traversées par les pires idées noires. C’est dans ce contexte qu’Olivier Montiel, étonnement réaliste et serein après une semaine de reculade à contre sens de l’objectif, a pris la décision d’accepter la remorque du voilier d’assistance le « Béru » . Son skipper Vianney, marin d’expérience, a désormais deux bateaux en remorque dans son sillage, Patrice Charlet (alias Mac Coy) et Olivier. Pour nos deux rameurs breton et ardéchois, ce coup de main pour s’extirper de cette zone infernale de contre- courants défavorables constitue une opportinité exceptionnelle de pouvoir sauver leur bateau. Dans le cas d’un sauvetage, seules les personnes, pas les biens, auraient été rappatriés à terre. Dans l’esprit d’un marin ayant consacré entre deux et trois ans de sa vie à concrétiser un projet et vécu plus de 71 jours dans une barcasse trempée de la proue à la poupe, c’est forcément à contre cœur que l’on abandonne une telle aventure. Mais c’est aussi une sage décision. Même si les sources météo semblent toutes s’accorder à confirmer la descente anticyclone et l’imminence de vents de Nord-Est à près de 20 nœuds, la situation n’a que trop duré et la frontière entre expérience initiatique et calvaire quotidien est désormais largement franchie. Par ailleurs, l’aide du voilier le « Béru » n’est qu’éphémère et ne vise qu’à extraire nos deux marins de ces maudits courants pour les placer dans la veine du flux sud-équatorial. Aux alentours du 4ème parallèle, la remorque sera larguée et nos deux marins devront reprendre leur navigation aux avirons vers la Guyane portés par ce flux tant convoité, le seul légitime en ces lieux à cette période. Continuer la lecture

Nouvelles du 29 décembre

Après avoir eu l’espoir que Rémy avait bien traversé ces maudits courants traversiers ayant une composante nord non négligeable, nous avons bien dû nous rendre à l’évidence qu’il n’était pas totalement sorti de cette zone de courants.

En fin de journée et dans la nuit il a été emporté à vive allure au nord, les réglages du bateau ne lui permettant pas de contrer complètement l’influence des courants. Les vents d’est nord-est tant attendus cette nuit n’ont pas été aussi puissants que prévu. La fatigue accumulée conjuguée à la difficulté de ramer la nuit l’ont empêché de contrer efficacement ce courant à la force des bras.

Il s’approche de la ligne d’arrivée mais est sur une route un peu trop au nord par rapport aux courants pour être assuré de pouvoir la franchir. Nous avons mis en place un plan de récupération au cas où il franchirait la longitude de la ligne d’arrivée trop au nord. Un bateau est prêt à appareiller pour aller chercher Rémy et son bateau, comme cela avait été le cas pour Harry Culas. Continuer la lecture

Message d’encouragement de Danièle et Jean-Louis Laure de La vie devant soi

Message de Danièle et Jean-Louis Laure membres de l’association La vie devant soi.

Dure cette traversée !

Rémy a tenu vraiment avec courage et détermination, il est tout prés d’atteindre son but.

Tous les jours nous étions comme vous tous, à attendre des nouvelles de son avancée mais surtout de savoir comment il allait sur le plan moral et physique.

Les commentaires de Mathieu nous ont parfois rassuré et d’autres fois inquiété, vraiment il est temps de le savoir sur terre !

Le parallèle qu’il voulait faire avec la maladie était pour moi, très souvent dans des situations similaires.

L’attente, l’espoir, les souffrances, le découragement, la colère, puis la force puisée au plus profond de soi pour sortir de ce tourbillon et retrouver enfin, l’envie de gagner ce combat !!!

Nous espérons que son retour à la vie « normale » ne sera pas trop difficile après ces moments vécus en solitaire.

A bientôt de vous retrouver.

Bonnes Fêtes

Avec toute notre amitié

Danièle et Jean-Louis

J71 – Un voyage trop long pour continuer à apporter du plaisir

Analyse de Mathieu Morverand, routeur de Rémy et d’Olivier Montiel.

En assistant impuissants au calvaire des rameurs qui restent en mer, on se demande bien comment les marins d’autrefois pouvaient-ils atteindre à bord de leurs navires peu rapides les côtes de l’Amazone et de la Guyane. Si Philippe Malapert semble sorti d’affaire avec la ligne d’arrivée quasiment en ligne de mire, il n’en est pas de même pour tous les autres skippers au Large. Seul Didier Torre est en capacité de tirer le meilleur parti du courant sud-équatorial grâce à une arrivée sur le Cap Orange par une route très au Sud. A moins de 150 milles de l’objectif, Rémy Landier remonte lui un peu trop au Nord. Une puissante veine de courants, peu marquée sur les cartes Mercator, l’emporte actuellement dans le Nord-Ouest à des vitesses supérieures à 3 nœuds. Ce flux se trouve renforcé par des vents repassés au Sud-Est qui compliquent considérablement la tâche. Le rameur aptésien espère que le basculement des vents annoncé va réellement se produire et lui permettre d’infléchir son cap pour reprendre à nouveau la route des îles du Salut. Dans le cas contraire, le danger de dépasser la ligne par le Large est bien réel. Pour lui apporter tous les éléments, son équipe tente de communiquer avec lui mais le service Geolink Iridium qui lui permet de téléphoner par satellite est défaillant et ne permet pas de tenir des communications d’une durée supérieure à quelques secondes. Ce problème pour lequel le prestataire a été sollicité, pour l’instant en vain, complique de plus en plus les échanges à un moment pourtant crucial. Les sources météo disponibles sont celles des fichiers « GRIB » mais aussi des modèles de Météo France (Arpège et CEP – centre européen de prévision). Tous ces outils convergent vers un contexte de vents d’Est-Nord-Est dominants de 15 à 20 nœuds dès demain et pour plusieurs jours. Cela signifierait la possibilité de changer de cap mais après toutes les déconvenues météorologiques depuis le début de la traversée, Rémy comme son équipe se montrent désormais très prudents, voire même dubitatifs. Continuer la lecture

Nouvelles du 28 décembre

Après une journée intense de rame et une nuit passée à régler le bateau, contrôler sa dérive et ramer quand c’était nécessaire, Rémy a réussi à s’extraire de la veine de forts courants orientés vers le nord.

Il est maintenant dans une zone où le courant est moins fort mais toujours orienté vers le nord. Les vents d’est nord-est modérés sur cette zone devraient l’aider à garder une route orientée ouest, mais ce sera au prix de gros efforts aux avirons, efforts qu’il devra d’ailleurs maintenir jusqu’à l’arrivée pour pouvoir franchir la ligne  qui se trouve entre Kourou et les îles du Salut.

Dans l’après-midi d’hier il a franchi le 49° méridien ainsi que la barre symbolique des 200 milles nautiques restants pour rallier l’arrivée. Continuer la lecture

J70 – Plus d’espoir en la météo

Analyse de Mathieu Morverand, routeur de Rémy et d’Olivier Montiel.

Comprendre le sens d’un tel défi n’est pas donné au premier esprit rationnel venu. Mais plutôt que de s’interroger sur les motivations qui peuvent être multiples et diverses, ne peut-on pas plutôt se satisfaire de la seule envie de vivre un rêve personnel pour expliquer l’engagement dans une telle aventure. Tôt ce matin, du côté des îles du Salut en Guyane, Catherine Barroy, la corsaire malouine, nous aura merveilleusement démontré combien la quête d’un objectif peut décupler nos forces intérieures et nous permettre de puiser aussi loin que la nature peut nous le permettre dans nos ressources physiques et morales. Confrontée à de maintes reprises au cours de la traversée à des situations pour le moins contrariantes, parfois même à contre-courant de toutes logiques, Catherine aura su surmonter ses craintes et ses doutes pour finalement franchir tous les obstacles de son parcours initiatique à travers l’océan. Un grand bravo à elle et à tous ceux qui l’ont soutenue et qui l’ont aidée à trouver la meilleure voie au milieu de ce capharnaüm.

Positions, vents et courants au 27 décembre

Positions, vents et courants au 27 décembre

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J69 – Au cœur d’un conflit atmosphérique

Analyse de Mathieu Morverand, routeur de Rémy et d’Olivier Montiel.

Depuis la métropole ou d’ailleurs, la lecture de la carte des positions des rameurs peut laisser perplexe. Pourquoi certains rameurs ne vont pas dans le bon sens ? Pour quelles raisons repartent-ils vers l’Afrique à des vitesses aussi élevées ?

Sous un océan aux apparences stables et linéaires se cachent en fait des forces puissantes dont l’emprise se mesure en centaines de milles nautiques. Lorsque par malchance, on tombe dans une de ces veines de courants dont le flux est mal orienté, il devient extrêmement difficile de s’en sortir. Lorsque en plus, les rameurs  se trouvent au cœur d’un conflit atmosphérique, comme c’est le cas en ce moment sur zone, l’échappatoire prend une dimension complètement inaccessible. Avec le recours des différents modèles disponibles et les conseils des services météorologiques spécialistes de ces régions tourmentées, on découvre qu’une dépression calée sur la pointe du Brésil depuis plusieurs jours est à l’origine de ces vents de sud-est qui causent tant de tracas aux skippers et tout autant à leurs proches. Un vaste anticyclone a amorcé sa descente vers le Sud et devrait repousser ce système en amenant des vents de secteur Est-Nord-Est qui pourraient être établis aux alentours de 20 nœuds lundi et mardi. Dès demain, un basculement des vents est probable.

Positions, vents et courants au 26 décembre

Positions, vents et courants au 26 décembre

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J68 – Sortir de la nasse au plus vite

Analyse de Mathieu Morverand, routeur de Rémy et d’Olivier Montiel.

L’océan n’aura concédé aucune faveur aux rameurs encore en mer, même pas pour ce jour de Noël qu’ils auraient tant aimé partager aux côtés de leurs proches. Si près de l’arrivée, à quelques dizaines de milles à peine de la côte, Catherine, Olivier B et Philippe font face aux mêmes difficultés rencontrées deux jours plus tôt par Harry. Le fort courant de Guyane porte au Nord – Ouest et se ligue à des vents certes faibles mais orientés de la même façon. Après 68 jours de mer, ils risquent de ne pas pouvoir passer la ligne et de dépasser les îles du Salut par le Large. Ils vont devoir jongler au mieux avec les horaires de marées pour profiter au mieux des courants de flot et limiter la perte au jusant. L’exercice s’annonce délicat mais le passage de la ligne est à ce prix.

Positions et courants au 25 décembre

Positions et courants au 25 décembre

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Nouvelles du 24 décembre

Après de longs efforts, Rémy a réussi à sortir de la puissante veine de courant sans bénéficier du moindre coup de pousse du vent, absent depuis quelques jours à cause de la remontée de la ZIC.

Son combat l’a beaucoup fatigué, les derniers jours de course sont éprouvants. Pour lui, l’objectif est de gagner au sud pour anticiper la forte dérive vers le nord que va lui imposer le courant équatorial qu’il va maintenant rencontrer. Il est en effet aujourd’hui à la même latitude que la ligne d’arrivée, et sans gagner davantage vers le sud, il lui sera très difficile de contrer la dérive du courant pour passer la ligne d’arrivée. C’est d’ailleurs la mésaventure qu’a subi Harry Culas, navigant trop au large des côtes guyanaises. Un bateau affrété par l’organisation est aller le chercher et l’a ramené à la terre ferme.

Malheureusement pour Rémy, les conditions difficiles qu’il rencontre en ce moment ne favorisent pas une avancée vers le sud.

De plus, les communications avec lui sont toujours très difficiles, il est rare d’avoir une conversation qui dépasse les 20 secondes.

Rémy est en train de passer un Noël pas comme les autres. Espérons qu’il puisse gagner rapidement la terre ferme et mettre ainsi un terme à cette rocambolesque traversée.