Le sourire de la force tranquille

mathieu

Mathieu Morverand

Gérard Marie, le dernier concurrent, étant arrivé, Mathieu Morverand nous livre sa dernière analyse de la course, l’ultime page du livre de la traversée. Il est temps pour nous de lui rendre hommage pour ses analyses quotidiennes qui nous ont permis de comprendre et, faute d’images, imaginer ce qui se passait en mer. Un grand merci Mathieu !

Longtemps, l’humanité s’est tenue loin du rivage, effrayée par cette immensité insondable et mystérieuse, puis un jour, un audacieux s’est élancé sur un tronc d’arbre… dès cet instant, une autre aventure commençait. Traverser l’Atlantique à la rame n’est pas qu’un défi sportif, chacun s’y engage à la recherche de son propre graal, en quête de ses propres rêves, mais tous vivent une profonde expérience intérieure et initiatique, personne n’en revient vraiment indemne. Continuer la lecture

J74 – Réveillon et retrouvailles sur la ligne d’arrivée

Analyse de Mathieu Morverand, routeur de Rémy et d’Olivier Montiel.

Au départ de Dakar au Sénégal, ils avaient choisi des routes complètement différentes, le premier dans le grand Sud, le second dans le Nord, et ne s’étaient jamais revus depuis. Et pourtant, ils se sont retrouvés à quelques encablures seulement de la ligne d’arrivée. Malgré ses travers, l’océan du Large peut aussi offrir des moments d’une rare improbabilité, nos deux rameurs du jour, le breton Didier Torre et l’aptésien Rémy Landier ont coupé la ligne à moins de deux heures d’écart, après une folle poursuite à plus de 3 nœuds dans les faveurs du courant sud-équatorial jusqu’aux îles du Salut sous des vents d’Alizés enfin de retour. Epuisés et durablement marqués par 74 jours de mer, près de deux mois et demi d’une vie de solitaire, nos deux comparses ont aperçu la terre ferme ce matin à peine 10 milles avant de l’atteindre. Cette frontière du retour à la vie normale est brutale, les nerfs et l’émotion intense de la réussite les maintiennent éveillés, les marins ressentent légitimement un mal de terre aux effets autant physiques que psychologiques. Le fait de choisir une arrivée le jour du réveillon de la St Sylvestre contribue sans nul doute à conforter ce retour à la vie normale. Continuer la lecture

J73 – Le routeur, une aide à la navigation ou un simple confident ?

Analyse de Mathieu Morverand, routeur de Rémy et d’Olivier Montiel.

En Guyane, la chaleur et l’hygrométrie de l’air peuvent rendre le sommeil léger, surtout lorsque le cerveau bouillonne de réflexions et d’interrogations à postériori. Aurions-nous en effet pu éviter à nos rameurs de renoncer ainsi à leurs rêves en leur prodiguant de meilleurs conseils ? Aurions-nous pu les placer à coup sûr dans les veines de courants et de vents les plus favorables. Cette question nous a tiraillé toute la nuit dernière jusqu’à ce que le vent des Alizés, plus frais et plus sec que celui de la ZIC, se fasse entendre dans la végétation toute proche. Cette descente de l’anticyclone, à laquelle plus personne ne croyait, sauf les fragiles prévisions météorologiques, a fini par arriver sur la zone de nos marins, quelques heures seulement après qu’ils décident, à bout de force et d’espoir, d’abandonner et d’accepter la remorque du voilier d’assistance. Cette édition 2014 est réellement cruelle pour ces marins qui avaient repoussé très loin leur limites en puisant avec courage et abnégation au plus profond de leurs ressources physiques et morales. Ces péripéties qui ne seront bientôt plus qu’un bref intermède dans le cours du temps et des souvenirs nous amènent néanmoins à nous interroger sur le rôle du routeur. Celui-ci est-il vraiment indispensable ? En l’espèce, ce 22 décembre dernier, Rémy Landier, Patrice Charlet (alias Mac Coy) et Olivier Montiel n’étaient distants les uns des autres que d’une trentaine de milles à peine et quasiment sur la même longitude. Pourtant, seul Rémy a réussi à trouver la voie vers l’Ouest, Patrice et Olivier étant eux irrémédiablement emportés vers l’Est par un flux très puissant et pourtant invisible sur les cartes. Leurs routeurs respectifs auraient-ils pu empêcher cette bifurcation diamétralement opposée et les conséquences qui en ont suivi ? Les cartes quotidiennes des courants sur zone ne laissaient pas présager un tel scénario et les rameurs se trouvaient alors plus à l’ouest que les positions de ceux qui les avaient précédé quelques jours plus tôt et qui avaient finalement réussi à s’évader par l’Ouest. Avec l’émergence des nouvelles technologies et la capacité des skippers à recevoir à bord toutes les informations nécessaires, cette expérience pose clairement la question de l’intérêt de recourir aux services d’un routeur, est-il vraiment une aide à la navigation ou simplement un confident ?. Les marins des célèbres courses au large sont-ils tous épaulés par un routeur ? Ceux de Rames Guyane ont-ils tous recouru aux services d’un routeur ? En d’autres termes, la réussite d’une telle traversée océanique n’est-elle pas exclusive du marin qui s’y engage corps et âme ? L’avenir de ce type d’épreuves sera certainement bien différent de tout ce que nous avons connu jusqu’alors. A méditer.   Continuer la lecture

J72 – Une sage décision

Analyse de Mathieu Morverand, routeur de Rémy et d’Olivier Montiel.

Toute la nuit dernière, malgré la fatigue et les paupières lourdes, les yeux sont restés rivés sur les écrans pour guetter la descente de l’anticyclone sur la zone de nos marins. A l’aurore, on notait bien un léger changement mais loin de s’accorder avec les prévisions météorologiques. Ce phénomène de décalage entre les modèles proposés et la réalité en mer semble être une coutume de cette zone de convergence intertropicale particulièrement tourmentée quelques soient les couches barométriques. En de telles circonstances, l’optimisme des conseils à terre n’est plus d’aucun secours pour les rameurs. Ils n’y croient plus et ont sans doute raison. Le calvaire qu’ils endurent depuis si longtemps valide toutes leurs convictions, même traversées par les pires idées noires. C’est dans ce contexte qu’Olivier Montiel, étonnement réaliste et serein après une semaine de reculade à contre sens de l’objectif, a pris la décision d’accepter la remorque du voilier d’assistance le « Béru » . Son skipper Vianney, marin d’expérience, a désormais deux bateaux en remorque dans son sillage, Patrice Charlet (alias Mac Coy) et Olivier. Pour nos deux rameurs breton et ardéchois, ce coup de main pour s’extirper de cette zone infernale de contre- courants défavorables constitue une opportinité exceptionnelle de pouvoir sauver leur bateau. Dans le cas d’un sauvetage, seules les personnes, pas les biens, auraient été rappatriés à terre. Dans l’esprit d’un marin ayant consacré entre deux et trois ans de sa vie à concrétiser un projet et vécu plus de 71 jours dans une barcasse trempée de la proue à la poupe, c’est forcément à contre cœur que l’on abandonne une telle aventure. Mais c’est aussi une sage décision. Même si les sources météo semblent toutes s’accorder à confirmer la descente anticyclone et l’imminence de vents de Nord-Est à près de 20 nœuds, la situation n’a que trop duré et la frontière entre expérience initiatique et calvaire quotidien est désormais largement franchie. Par ailleurs, l’aide du voilier le « Béru » n’est qu’éphémère et ne vise qu’à extraire nos deux marins de ces maudits courants pour les placer dans la veine du flux sud-équatorial. Aux alentours du 4ème parallèle, la remorque sera larguée et nos deux marins devront reprendre leur navigation aux avirons vers la Guyane portés par ce flux tant convoité, le seul légitime en ces lieux à cette période. Continuer la lecture

J71 – Un voyage trop long pour continuer à apporter du plaisir

Analyse de Mathieu Morverand, routeur de Rémy et d’Olivier Montiel.

En assistant impuissants au calvaire des rameurs qui restent en mer, on se demande bien comment les marins d’autrefois pouvaient-ils atteindre à bord de leurs navires peu rapides les côtes de l’Amazone et de la Guyane. Si Philippe Malapert semble sorti d’affaire avec la ligne d’arrivée quasiment en ligne de mire, il n’en est pas de même pour tous les autres skippers au Large. Seul Didier Torre est en capacité de tirer le meilleur parti du courant sud-équatorial grâce à une arrivée sur le Cap Orange par une route très au Sud. A moins de 150 milles de l’objectif, Rémy Landier remonte lui un peu trop au Nord. Une puissante veine de courants, peu marquée sur les cartes Mercator, l’emporte actuellement dans le Nord-Ouest à des vitesses supérieures à 3 nœuds. Ce flux se trouve renforcé par des vents repassés au Sud-Est qui compliquent considérablement la tâche. Le rameur aptésien espère que le basculement des vents annoncé va réellement se produire et lui permettre d’infléchir son cap pour reprendre à nouveau la route des îles du Salut. Dans le cas contraire, le danger de dépasser la ligne par le Large est bien réel. Pour lui apporter tous les éléments, son équipe tente de communiquer avec lui mais le service Geolink Iridium qui lui permet de téléphoner par satellite est défaillant et ne permet pas de tenir des communications d’une durée supérieure à quelques secondes. Ce problème pour lequel le prestataire a été sollicité, pour l’instant en vain, complique de plus en plus les échanges à un moment pourtant crucial. Les sources météo disponibles sont celles des fichiers « GRIB » mais aussi des modèles de Météo France (Arpège et CEP – centre européen de prévision). Tous ces outils convergent vers un contexte de vents d’Est-Nord-Est dominants de 15 à 20 nœuds dès demain et pour plusieurs jours. Cela signifierait la possibilité de changer de cap mais après toutes les déconvenues météorologiques depuis le début de la traversée, Rémy comme son équipe se montrent désormais très prudents, voire même dubitatifs. Continuer la lecture

J70 – Plus d’espoir en la météo

Analyse de Mathieu Morverand, routeur de Rémy et d’Olivier Montiel.

Comprendre le sens d’un tel défi n’est pas donné au premier esprit rationnel venu. Mais plutôt que de s’interroger sur les motivations qui peuvent être multiples et diverses, ne peut-on pas plutôt se satisfaire de la seule envie de vivre un rêve personnel pour expliquer l’engagement dans une telle aventure. Tôt ce matin, du côté des îles du Salut en Guyane, Catherine Barroy, la corsaire malouine, nous aura merveilleusement démontré combien la quête d’un objectif peut décupler nos forces intérieures et nous permettre de puiser aussi loin que la nature peut nous le permettre dans nos ressources physiques et morales. Confrontée à de maintes reprises au cours de la traversée à des situations pour le moins contrariantes, parfois même à contre-courant de toutes logiques, Catherine aura su surmonter ses craintes et ses doutes pour finalement franchir tous les obstacles de son parcours initiatique à travers l’océan. Un grand bravo à elle et à tous ceux qui l’ont soutenue et qui l’ont aidée à trouver la meilleure voie au milieu de ce capharnaüm.

Positions, vents et courants au 27 décembre

Positions, vents et courants au 27 décembre

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J69 – Au cœur d’un conflit atmosphérique

Analyse de Mathieu Morverand, routeur de Rémy et d’Olivier Montiel.

Depuis la métropole ou d’ailleurs, la lecture de la carte des positions des rameurs peut laisser perplexe. Pourquoi certains rameurs ne vont pas dans le bon sens ? Pour quelles raisons repartent-ils vers l’Afrique à des vitesses aussi élevées ?

Sous un océan aux apparences stables et linéaires se cachent en fait des forces puissantes dont l’emprise se mesure en centaines de milles nautiques. Lorsque par malchance, on tombe dans une de ces veines de courants dont le flux est mal orienté, il devient extrêmement difficile de s’en sortir. Lorsque en plus, les rameurs  se trouvent au cœur d’un conflit atmosphérique, comme c’est le cas en ce moment sur zone, l’échappatoire prend une dimension complètement inaccessible. Avec le recours des différents modèles disponibles et les conseils des services météorologiques spécialistes de ces régions tourmentées, on découvre qu’une dépression calée sur la pointe du Brésil depuis plusieurs jours est à l’origine de ces vents de sud-est qui causent tant de tracas aux skippers et tout autant à leurs proches. Un vaste anticyclone a amorcé sa descente vers le Sud et devrait repousser ce système en amenant des vents de secteur Est-Nord-Est qui pourraient être établis aux alentours de 20 nœuds lundi et mardi. Dès demain, un basculement des vents est probable.

Positions, vents et courants au 26 décembre

Positions, vents et courants au 26 décembre

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J68 – Sortir de la nasse au plus vite

Analyse de Mathieu Morverand, routeur de Rémy et d’Olivier Montiel.

L’océan n’aura concédé aucune faveur aux rameurs encore en mer, même pas pour ce jour de Noël qu’ils auraient tant aimé partager aux côtés de leurs proches. Si près de l’arrivée, à quelques dizaines de milles à peine de la côte, Catherine, Olivier B et Philippe font face aux mêmes difficultés rencontrées deux jours plus tôt par Harry. Le fort courant de Guyane porte au Nord – Ouest et se ligue à des vents certes faibles mais orientés de la même façon. Après 68 jours de mer, ils risquent de ne pas pouvoir passer la ligne et de dépasser les îles du Salut par le Large. Ils vont devoir jongler au mieux avec les horaires de marées pour profiter au mieux des courants de flot et limiter la perte au jusant. L’exercice s’annonce délicat mais le passage de la ligne est à ce prix.

Positions et courants au 25 décembre

Positions et courants au 25 décembre

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J67 – Noël en mer

Analyse de Mathieu Morverand, routeur de Rémy et d’Olivier Montiel.

Ce pourrait l’annonce aguicheuse d’une offre de croisière à bord d’un navire aux lignes confortables, mais au sein de la flottille, parmi les 10 rameurs qui restent ce soir encore sur l’océan, ces fêtes de Noël en solitaire à bord de leurs frêle embarcation auront une saveur aussi particulière qu’inattendue. A Dakar, on se profilait déjà dans ce moment de joie et de partage, à écouter les récits passionnés de nos rameurs émérites autour d’une dinde rôtie ou d’un chapon dodu. Cette succession de vents aléatoires et de courants tourmentés dès le premier jour de traversée aura rapidement bouleversé cette perspective et peu à peu préparé les esprits à ce Noël en solo. Englué depuis 48 h dans une pétole sans le moindre souffle, Harry qui avait pourtant repris des forces, s’est vu emporté par le puissant courant sud-équatorial sans rien pouvoir y opposer, passant au Nord des îles du Salut à plus de 40 milles de la ligne. Il aura fait sa traversée, comme tous les autres, sans compromis, avec ses moments de joies et ses abîmes de désespoir, déterminé à rallier l’Afrique aux Amériques. Le défi est en ce sens magnifiquement atteint. Bravo à lui et à tous ses proches qui l’ont soutenu sans jamais faillir même dans les moments les plus délicats.

Positions, vents et courants au 24 décembre

Positions, vents et courants au 24 décembre

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J66 – Sur l’Atlantique, le rêve de gens simples

Analyse de Mathieu Morverand, routeur de Rémy et d’Olivier Montiel.

Il est dans la vie d’un être humain des expériences qui transcendent l’existence et qui marquent durablement les consciences. Cette traversée seul(e) au milieu de l’océan constitue sans aucun doute l’une d’entre elles.  Tandis que 7 skippers sur les 18 au départ des côtes sénégalaises en octobre dernier savourent désormais le goût si particulier d’une vie de terrien retrouvée, 11 sont encore en mer et continuent de lutter contre des conditions aux nulles autres pareilles dans toute l’histoire de l’épreuve. Quelle est cette foi si forte qui leur permet de tenir alors que l’on serait mille fois tenté à leur place de déclencher la balise Argos pour mettre un terme à cette galère quotidienne et être rapidement rapatrié sur le continent ? Certains avaient un peu d’expérience de la navigation au large, d’autres pas du tout, mais ceux qui restent sont maintenant tous à égalité, à bord du même bateau, à quelques courants près. Il n’y aucune star parmi la flottille, juste des héros ordinaires qui nous surprennent chaque jour un peu plus par leur étonnante pugnacité, cette aventure atlantique constitue bien le rêve de gens simples mais l’océan leur a malgré tout réservé une configuration digne par sa complexité des plus grands marins.

Positions et courant au 23 décembre

Positions et courant au 23 décembre

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