J60 – Deux mois de traversée pas si solitaire

Analyse de Mathieu Morverand, routeur de Rémy et d’Olivier Montiel.

Et voilà, nous y sommes ! 60 jours : deux mois que nos rameurs sont en mer et que la ligne d’arrivée sous les îles du Salut n’est toujours pas en vue. Si les bookmakers les plus pessimistes avaient fait des paris le jour de départ à Dakar, ils seraient riches aujourd’hui car personne n’auraient pu imaginer que l’édition 2014 de la traversée Rames Guyane battrait ainsi tous les records de durée. Mais cette interminable attente suscite peu à peu une curiosité et une admiration qui ne cessent de grandir au fil des jours bien au-delà du seul cercle des proches et des amis. Les messages de soutien et d’encouragement n’en finissent plus d’affluer, ce qui fait dire à Salomé, sensible à cette attention spontanée, que cette traversée n’est finalement pas si solitaire, c’est aussi celle de toute une communauté, famille, amis mais aussi simples observateurs. La question centrale qui taraude tous ces esprits viscéralement accrochés à l’aventure et au sort de ses acteurs est de savoir combien de temps il faudra encore aux rameurs avant qu’ils ne retrouvent la terre ferme et leur vie de terrien, désormais très loin dans leur sillage.

Positions, vents et courants au 17 décembre

Positions, vents et courants au 17 décembre

Après tant d’obstacles surmontés, l’arrivée semble enfin se profiler, ce qui réjouit tant les rameurs que leurs proches. Qui de Olivier Ducap ou de Antonio de la Rosa va  couper la ligne en tête ? Même là, à quelques encablures de la Guyane, le pronostic demeure délicat. La crainte de nombreux analystes est que la veine du courant sud-équatorial, qui ne suit pas les côtes comme en 2012 mais remonte vers le Nord-Est, propulse les rameurs au Nord et les empêche ensuite de redescendre sur la ligne. Dans cette hypothèse, Antonio et les partisans de la route du Nord sont clairement plus exposés que leur collègue du Sud. Antonio est ce soir en passe de pénétrer dans le cœur de ce puissant flux. La carte des relevés des heures qui viennent nous révélera par la dérive du rameur madrilène la vraie nature de ce courant. Toutefois, là où il se trouve, la largeur de la veine est relativement étroite, moins d’un degré de longitude, ce qui devrait en limiter l’impact. La vraie incertitude concerne ce que les rameurs trouveront au-delà. Les cartes Mercator présentent un courant plus modéré qui reprendrait de la vigueur juste avant la ligne. Qu’en est-il exactement ? Quelles stratégies les rameurs doivent ils adopter ? Arriver par le Large avec le risque de ne pas pouvoir descendre vers le Sud ou longer la côte en croisant le Connétable puis l’Enfant Perdu ? Pour être certains d’apporter le meilleur conseil aux rameurs, il nous faudrait disposer de prévisions de vents et de courants fiables à 100 %. Mais en ces lieux si particuliers où le climat peut se jouer de toutes les prévisions, à la confluence des deux hémisphères, cette ambition reste utopique. Bien malin celui qui pourrait affirmer avec assurance le nom, la date et l’heure de l’arrivée du premier concurrent. Même le tableau de Pierre, avec toute la rigueur que son auteur lui consacre, ne nous donne que des tendances sur la base d’observations précises et d’éléments objectifs.

Dans ce contexte d’incertitudes, les skippers les plus proches espèrent malgré tout arriver avant Noël. Parmi ceux-là, Salomé et Laurent qui sont en passe à leur tour d’atteindre le courant sud-équatorial. Salomé remercie tous les gens qui ont répondu à son appel en soufflant sur sa zone d’évolution, ce qui lui a permis de traverser cette zone tourmentée. Quant à Laurent, il navigue aux côtés de ses compagnons d’infortune dans des conditions résolument peu conciliantes avec des vents capricieux et sous une couverture nuageuse qui lui laisse craindre une nouvelle remontée de la ZIC et des vents de Sud-Est.  Malgré tout, il dispose encore à bord d’assez de nourriture pour tenir jusqu’à l’arrivée qu’il espère maintenant très rapide. Il en est de même pour Jean-Pierre, à une quarantaine de milles de là. Comme Patrice M, la veille, il s’excuse de ses passages à vide, mais qu’il se rassure à son tour, ces moments de  déprime constituent une réaction tout à fait légitime dans ce type de situation. Ceux qui assistent à la traversée apprécient l’authenticité de ces témoignages sans lesquels la traduction de l’aventure serait trop angélique pour être réelle. Ces humeurs qui oscillent au fil des contrariétés font partie intégrante d’une aventure en solitaire, rien de plus normal. Témoigner de ses sentiments, même des plus obscures, c’est faire preuve de vérité et de générosité. Désormais fatigué, Jean-Pierre se dit maintenant un peu en retrait de la course et ressent une profonde envie de retrouver ses proches. Il se réjouit que son ami Harry puisse être très bientôt ravitaillé par le Beru, un voilier affrété par l’organisation parti aujourd’hui de Cayenne avec des vivres en quantité suffisante pour tous les skippers qui en feraient la demande.

La zone tourmentée qui vient d’être franchie par cette équipe est en passe d’être atteinte par Rémy, le premier des trois mousquetaires du Nord. Ce dernier tente de rester dans l’ouest mais déjà, l’influence du courant se fait sentir de plus en plus fort. La descente vers le Sud est imminente. Bientôt, ce sera le tour de Patrice C (alias Mac Coy) et d’Olivier M. (voir le reportage) qui le suivent de près. Ils implorent tous les trois des vents suffisamment généreux pour les aider à surmonter cet obstacle. Lui qui souhaitait fêter ses 40 printemps (le 20 décembre) sur la terre ferme, Olivier M. sait maintenant que cela risque d’être compromis. Tant pis, il fera la fête avec ses voisines les dorades et s’offrira un petit plat lyophilisé accompagné de fraises Tagada.

A la même hauteur, à moins de 1000 milles de l’objectif désormais, Gérard a fait un véritable bon en avant ces derniers jours. Sa persévérance et sa bonne humeur ne cessent de nous étonner. Dans la continuité de sa précédente vacation, il a remercié son supermarché local même si celui-ci lui a répondu qu’il se situait « un peu » en dehors de la zone de livraison à domicile. Qu’importe, il s’est lui-même livré en pêchant quelques délicieux poissons. A la demande de ses nombreux soutiens, il a dressé un inventaire de la faune qu’il a rencontré tout au long de son périple : des baleines en pleine nuit, des groupes de globicéphales, quelques dauphins, des bancs de sardines faisant bouillonner la surface de l’océan, des tortures en colère contre ses appendices et ces dorades qui ne l’ont jamais abandonné et qu’il finit par reconnaître individuellement grâce à leurs signes distinctifs. Il évoque ces moments précieux lorsqu’il s’est retrouvé sous la coque pour nettoyer son bateau entouré par une foule de regards étonnés par ce curieux animal sans écaille. Sans oublier ces poissons volants qui n’en finissent plus de l’étonner par leurs surprenants vols planés. Il s’en régale parfois au dîner avec un peu de jus de citron quand ces derniers le lui atterrissent pas en plein visage. Les oiseaux quant à eux lui semblent venir de nulle part comme si une île mystérieuse et inconnue leur servait d’habitat non loin de là. Bref, un vrai bestiaire que seul son statut de voyageur égaré à bord d’une si frêle embarcation, lente et silencieuse, lui a permis de côtoyer de si près.

Enfin, au sud, dans le sillage d’Olivier D.  Philippe Malapert navigue aux côtés d’Olivier B. au Nord et de Catherine au Sud. Il rame de plus en plus assidument dans l’espoir de raccourcir le délai qui le sépare de l’arrivée. Il se souvient de ses calculs les plus pessimistes qui l’amenaient à 60 jours … Une marge de 10 jours lui semble maintenant nécessaire mais il s’y résout, ce sont selon lui les aléas de la navigation à la rame. Du côté de ses fonds de cale, aucune inquiétude, il dispose d’assez de nourriture pour tenir encore un mois et s’est même permis d’offrir aux poissons ce qui n’était pas à son goût. La course en tant que compétition ne l’importe pas, son seul objectif est de terminer la traversée sans assistance. Le moral et la santé le lui permettent mais la récente visite d’un requin peu aimable à pointes blanches sans doute attiré par l’odeur du sang d’un thon qu’il venait de pêcher lui ont rappelé l’obligation de prudence qui s’impose à lui comme à tous les autres.

Une réflexion sur « J60 – Deux mois de traversée pas si solitaire »

  1. Remy tu nous as offert une occasion de suivre une course extraordinaire. Compte tenu de la faible diffusion médiatique, jamais nous aurions connue cette course. D’après les commentaires, en plus les péripéties de cette année sont une première. Chaque jour, on a pu suivre les différentes stratégies et se faire notre propre opinion. Nous avons suivi, chaque jour avec grand intérêt, l’analyse de Mathieu Morverand qui nous a fait connaitre le climat équatorial mouvementé.
    Comme tu vas affronter le passage le plus difficile dans quelques heures, Jacqueline et moi seront avec toi par la pensée. Avec l’expérience de ceux qui t’ont précédé, tu as à souffrir pendant 48h, après la Guyane sera à toi. Bon courage.

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